« Revisiter le Bio ici et maintenant » Par Prof. Bennasseur Alaoui, Prof. IAV Hassan II et Slim Kabbaj, Ph.D., Entrepreneur

Le Bio

« Revisiter le Bio ici et maintenant » Par Prof. Bennasseur Alaoui, Prof. IAV Hassan II et Slim Kabbaj, Ph.D., Entrepreneur

La période de confinement actuelle nous interpelle en tant que consommateurs, en tant qu’opérateurs et chercheurs, afin de prendre la mesure de la catastrophe actuelle et éveiller notre conscience sur l’importance de notre environnement. Elle met en perspective les enjeux sensibles de ce qui attend l’humanité en matière de climat et des questions alimentaires qui nous concernent tous. Les connaissances actuelles conduisent à cet égard à revisiter les problèmes de la filière Bio, et les besoins pour concrétiser les concepts d’agriculture durable et pour l’investissement.

1-       La consommation pendant cette période de confinement, pourquoi le Bio ?

La consommation alimentaire a fait un bond certain et les grandes surfaces commerciales font état d’une croissance significative pendant cette période de confinement. Dans ce cadre, les dernières statistiques montrent clairement que les consommateurs sont d’avantage demandeurs de produits Bio, en Europe notamment où une augmentation de 30 à 50%, voire plus, est avancée dans les média. Au Maroc aussi les distributeurs Bio, petits et grands, font état d’un engouement particulier. Les échanges avec les clients, parmi lesquels beaucoup de nouveaux, font apparaître trois raisons essentielles :

  • La pandémie due au Coronavirus est une maladie d’origine biologique qui entraîne des problèmes de santé plus ou moins graves, qui semble attaquer d’abord les personnes vulnérables, qui ont un système immunitaire déficient, les personnes obèses, les personnes âgées… Le virus ramène l’être humain à la question fondamentale de la santé, de la vie, des besoins humains vitaux. A ce titre elle interpelle tout un chacun sur son mode de vie et son hygiène, ses priorités dans sa gestion du temps, la vie en communauté dans un espace et sur une planète que nous partageons ;
  • La prise de conscience que l’alimentation saine est le facteur essentiel de prévention en matière de santé, de bien être et pour le fonctionnement efficace du système immunitaire. Le consommateur est en train de tourner la page de cette période où l’on mangeait uniquement par besoin primaire et pour couper la faim, et où se nourrir pouvait passer pour une perte de temps. Il va plus rapidement vers de nouvelles pratiques qui mettent en exergue le goût, les nutriments, les vitamines naturels, les fibres, vers les pratiques aussi qui sont sensibles aux risques de trop de sucre raffiné, de trop de produits industriels transformés et des méfaits de certains produits pour les intolérants, et veut prendre le temps de déguster et vivre en conscience ;
  • Le confinement est en train d’instaurer de nouvelles sensibilités, parfois de nouvelles habitudes et de nouvelles priorités. Le moment de manger prend une autre perspective, le temps de cuisiner et les ingrédients des menus prennent une nouvelle envergure. Beaucoup de familles se sont mis à la cuisine, ont découvert les produits et leurs caractéristiques et sont entrain de retrouver le plaisir de passer du temps autour des menus, depuis choisir ensemble les courses et lire les étiquettes jusqu’à faire la vaisselle : le goût de la simplicité en somme.

Ces transformations, dues au confinement, peuvent être canalisées vers une nouvelle politique de consommation où le client est acteur de ses habitudes alimentaires et où ses choix se font en conscience et en bonne intelligence avec son environnement. De plus, l’acte de consommer est en train de se rapprocher de l’acte de produire et attire peu ou prou l’attention sur la nécessite de valoriser des métiers relégués jusqu’à présent au second rang, celui d’agriculteur, d’éleveur, de producteur, de distributeur. Ces métiers ont un impact considérable sur nos vies, notre santé et notre planète.

2-       Pourquoi faudrait-il produire plus de Bio au Maroc ?

Dans la recherche perpétuelle pour réduire les charges et maximiser les profits, les multinationales spécialisées dans l’agroalimentaire avaient délocalisé plusieurs de leurs activités, surtout les fruits et légumes. Or, la pandémie actuelle liée au coronavirus a mis en exergue les dangers de lointaines délocalisations sur la sécurité alimentaire de plusieurs pays et sur leurs économies. Elle va pousser inéluctablement ces multinationales à relocaliser leurs activités de production et de valorisation au sein de leurs pays d’origine, ou à défaut dans des pays limitrophes.

Beaucoup d’experts s’accordent à dire que l’humanité exerçait trop de pressions sur la nature (sols, forêt, cours d’eau, eau souterraines, etc.), avec des conséquences néfastes. La pandémie actuelle vient comme un avertissement international sérieux, en parallèle avec l’apparition de nouvelles maladies locales aux quatre coins du monde et surtout des changements climatiques, dont l’impact a commencé à se fait sentir dramatiquement dans certaines régions du globe. La signification en est claire : ne pas prendre soin de la planète signifie ne pas prendre soin de nous-mêmes et de la vie sur Terre.

La crise de coronavirus a mis en évidence bon an mal an le manque de résilience des systèmes alimentaires nationaux en raison de la dépendance à l’égard des importations. Les chaînes d’approvisionnement classiques dominées par les multinationales sont devenues problématiques et incertaines. L’urgence montre les faiblesses et les lacunes du système mondial de distribution alimentaire et impose la préservation et la construction de systèmes alimentaires nationaux et territoriaux durables, qui relient les producteurs et les consommateurs, et fournissent des aliments sains et nutritifs pour tous.

Avec une pandémie mondiale resserrant son emprise sur le monde et les photos d’étagères de supermarchés vides dans certains pays d’Europe et aux Etats Unis d’Amérique, inondant les média, il n’y a jamais eu de meilleur moment pour reconsidérer le sourcing des produits et proposer des alternatives. Vu la proximité du Maroc des pays européens, le moment est bienvenu pour saisir cette opportunité et s’engager dans la production d’aliments biologiques, en variété et en quantité pour préparer l’offre nécessaire et faire face aux besoins. Les conséquences pour le Maroc seront significatives, pas uniquement en termes économiques ; cela peut rendre notre production alimentaire d’avantage résiliente, et permettre de construire des écosystèmes sains, voire d’empêcher de futures épidémies comme le coronavirus, et également de mieux résister aux changements climatiques.

Ce que nous avons pu constater depuis le début du confinement, c’est le souci que plusieurs personnes se font de la qualité des aliments qu’ils consomment. Nous avons constaté une augmentation notable du besoin à se procurer des légumes biologiques certifiés ou produits naturellement, sans pesticides. De ce fait, nous pensons que le Maroc se doit d’encourager les agriculteurs à se convertir au mode de production biologique en mettant en place les subventions adaptées et un encadrement rapproché des producteurs. Une telle augmentation de la production biologique servirait à satisfaire ainsi une demande de plus en plus importante aussi bien au niveau local, national que régional, au niveau de nos voisins du Nord de la Méditerranée.

3-       Devons-nous changer la façon dont nous voyons nos aliments et cultivons nos terres ?

La pandémie de coronavirus nous a rappelé que nous ne pouvons pas considérer comme acquise notre relation les uns avec les autres ou avec la nature. Nous devons repenser le système alimentaire actuel qui rompt ces relations vitales et intensifier nos efforts pour soutenir des pratiques qui les restaurent et les maintiennent. En augmentant dès maintenant les investissements privés et publics pour une agriculture durable, en particulier biologique; nous pouvons nourrir notre population et renforcer notre résilience face à cette crise – et celles qui pourront avoir lieu dans l’avenir.

La pandémie de coronavirus met notamment en évidence les liens entre santé humaine et nature et nous invite à repenser les fondements de notre système alimentaire. Une fois de plus, nous sommes confrontés à plusieurs externalités négatives de l’agriculture industrielle qui concentre la richesse, dégrade, contamine, favorise la propagation des maladies, déshumanise. Il promeut la violation des droits à la terre et au territoire de l’agriculture familiale, et des communautés traditionnelles, qui sont connues pour respecter la nature et produire la nourriture locale. Nous sommes désormais invités à défendre d’autres paradigmes de production durable et davantage de produits sains comme le propose l’agriculture biologique.

Les solutions alimentaires locales pendant et après la crise du coronavirus pourraient avoir des avantages durables. En effet, la consommation des aliments plus nutritifs pour assurer une meilleure santé et bien-être est étroitement liée à la capacité des agriculteurs à entreprendre des pratiques agro-écologiques locales innovantes. L’approche de l’agriculture biologique vise en effet à créer des systèmes alimentaires durables ; et au cœur de cette approche se trouve un ensemble de pratiques basées sur une agriculture «localement adaptée», respectant les saisons, la spécificité des sols et la disponibilité de l’eau notamment.

Aujourd’hui, de nos assiettes aux fermes, que ce soit par des circuits courts ou des chaînes d’approvisionnement locales ou distantes, les producteurs, les artisans, les entreprises agroalimentaires, les magasins spécialisés, les supermarchés, les transporteurs, tous sont mis à l’épreuve d’une crise sans précédent qui les conduit à s’adapter, à trouver des solutions et à inventer de nouvelles possibilités. Nous ne devons pas omettre de souligner les rôles que doivent jouer la recherche, le développement agricole et rural, les associations paysannes, l’économie sociale, etc., pour relever les défis et lancer les bases solides d’une agriculture biologique dynamique et prospère au service des consommateurs et de l’économie nationale et qui valorisent les producteurs.

L’opinion publique est de plus en plus consciente que lorsque la biodiversité est mise en danger, la santé humaine est en jeu. Pour protéger les écosystèmes et la santé humaine, le Maroc, doit veiller à la conservation des zones naturelles et préserver leurs riches assemblages d’espèces microbiennes, animales et végétales. Limiter, voire éliminer le recours aux pesticides, qui avaient amené à la disparition des milliers d’espèces végétales et animales ainsi que des centaines de microorganismes microscopiques et déstabilisé le fonctionnement et les équilibres des écosystèmes. En outre, la diversité des cultures, imposée en agriculture biologique, peut servir d’amortisseur des effets du changement climatique.

Les recherches montrent clairement que les exploitations agricoles avec une grande diversité de cultures offrent des habitats plus sûrs et plus stables pour la faune ; elles résistent mieux aux changements climatiques que la monoculture qui domine l’industrie agricole d’aujourd’hui. Il devient donc urgent que tous les acteurs de l’agriculture biologique mettent en place un plan intégré et mobilisateur pour faire du Maroc un espace ou l’agriculture biologique et l’agro-écologie ont toute leur place en travaillant sur les différents aspects de ce système d’équations : humains, techniques, économiques.

4-       Quels sont les liens entre agriculture et environnement, et climat ? Y a-t-il un effet coronavirus ?

Ce sont des questions complexes dont nous commençons à peine à saisir les tenants et les aboutissants, que nous allons donc simplifier et structurer pour communiquer aussi clairement que possible.

a-       Confinement et environnement

La pandémie due au coronavirus a généré une période de confinement qui est rentrée maintenant dans son troisième mois. En se calfeutrant chez soi, et en réduisant fortement les activités humaines, particulièrement industrielles et de transport, nous avons libéré le « dehors » des villes, ainsi que la campagne, et limité notre impact sur la nature et sur l’environnement, proche et lointain. Cette situation est devenue évidente pour beaucoup d’observateurs, et les média nous font part régulièrement des changements environnementaux bénéfiques répertoriés aux quatre coins du globe.

Tout un chacun peut apprécier un ciel beaucoup plus clair et une meilleure luminosité par rapport à l’avant-confinement. Il y a moins de brouillard de pollution sur les villes et aux alentours, dont voici quelques exemples : à Casablanca, il y a moins de brume sur la ville, sur les bords de mer l’horizon est net et nous pouvons voir plus loin, les montagnes à Marrakech sont redevenues visibles à distance et les trainées d’avion ont disparu dans le ciel. En campagne, il y a plus d’oiseaux avec leurs chants, plus d’abeilles et qui donnent plus de miel, plus de papillons, plus d’insectes sur les routes; les lacs et les rivières sont plus clairs.

Le confinement a fait une démonstration par l’absurde pour les populations partout dans le monde de ce que disent les experts du climat et de l’environnement depuis des décennies:

  • Le regain de CO2 dans l’atmosphère est significativement anthropique ;
  • L’isolement d’un espace naturel permet de régénérer la faune et la flore, et les écosystèmes ont ainsi tendance à retrouver un équilibre bénéfique.

b-       Agriculture et environnement

Pour ce qui concerne l’agriculture en particulier, les pratiques dites modernes détruisent peu ou prou l’environnement par l’utilisation accrue d’herbicides, d’insecticides, de fongicides et d’engrais chimiques et causent des dommages environnementaux de plus en plus conséquents. Dans les sols, les pesticides provoquent un appauvrissement continu de la terre et ne se dégradent que très lentement ; le temps de dégradation de certains pesticides peut atteindre plusieurs centaines d’années. Les pertes de terre arable, la couche de surface qui peut être labourée et cultivée, sont considérables ; les vers de terre et les microorganismes disparaissent au fur et à mesure des traitements.

Les pesticides polluent les puits et les cours d’eau qui représentent parfois la seule source d’eau potable pour la population ; parmi les pesticides, les herbicides sont les plus présents dans les eaux de surface. La contamination se retrouve ainsi dans les océans avec les rejets chimiques et les sols érodés. Par ailleurs, les résidus de produits chimiques sont régulièrement identifiés dans l’environnement et circulent dans l’atmosphère. Il n’est pas étonnant que la qualité de l’air devienne un enjeu majeur de santé publique dans diverses régions du monde. Il y a des chercheurs qui s’interrogent même sur la possibilité pour le coronavirus de voyager grâce aux particules de pollution dans l’atmosphère.

Selon la FAO, l’agriculture est un des secteurs qui contribue le plus au réchauffement climatique, avec environ 24% des émissions des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale (GES). Les GES ont doublé au cours des 50 dernières années, pour représenter la 2ème émettrice après la production d’énergie et de chaleur. Toujours, selon la FAO, l’élevage serait responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre. Le 5ème rapport du GIEC recommande une diminution de la consommation de viande et de travailler à réduire drastiquement le gaspillage élémentaire. Si l’élevage contribue fortement aux émissions de gaz à effet de serre, la 1ère cause serait en fait l’énorme gaspillage qui consiste à produire de la nourriture pour les animaux. Selon le GIEC, produire 1 kg de protéines sous forme de viande émet en moyenne 300 kg d’éq. CO2.

c-       Pourquoi serait-ce différent avec le Bio ?

Le principal constituant du sol en matière organique est le carbone, faisant du sol l’un des plus grands réservoirs de carbone de la planète. Les experts considèrent que ce stock a considérablement diminué au cours du 20ème siècle en raison de l’intensification de l’agriculture, de la généralisation des labours profonds dans les régions qui pratiquent l’agriculture industrielle, de la transformation de centaines de milliers d’ha de prairies et de forêts en terres cultivées.

L’agriculture durable et l’agriculture de conservation peuvent se révéler un formidable outil de bio-ingénierie, performant pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement. L’activité biologique du sol est un processus avec lequel plus on recycle, moins on pollue, et plus on produit un maximum de biomasse, pour assurer un recyclage maximum, notamment avec la fabrication de compost. L’agriculture biologique est donc la meilleure solution au problème.

Le Bio réduirait les dépenses énergétiques de 25 à 50% par rapport à l’agriculture conventionnelle, en restaurant les sols dégradés, en adoptant des pratiques de gestion durable, les rotations de culture, le zéro labour ou le semis direct. Les fermes biologiques présentent généralement une plus grande biodiversité de plantes, d’insectes, d’animaux, de microbes, de diversité génétique en général, ainsi qu’une plus grande variété de paysages. L’agriculture biologique est également l’approche la plus prometteuse pour l’adaptation aux changements climatiques et dans l’atténuation de ses conséquences.

Prendre en compte les externalités négatives de l’agriculture conventionnelle (par exemple, la pollution par les pesticides chimiques) et les externalités positives de l’agriculture Bio (par exemple la hausse de la biodiversité et un environnement plus sain, à l’échelle planétaire) dans le prix des productions permettrait d’améliorer nettement la compétitivité du Bio. Les coûts de santé et d’environnement sont donc des coûts cachés dans le conventionnel et sont payés par la société sous forme d’impôts et de répercussions sur la vie et l’écologie de la planète. L’une des conséquentes logiques de cette réalité en terme économique serait de faire payer les premiers responsables de cette contamination chimique et de faire qu’ils contribuent au développement de l’agriculture biologique et à la recherche pour des additifs écologiques, selon la logique actuellement admise par ailleurs de « pollueur payeur ». La deuxième voie serait de mettre en place un fonds public-privé de soutien au Bio, en tant qu’investissement d’avenir pour la population et pour la préservation de l’environnement. C’est le bon moment d’ouvrir un débat de fond sur ces questions, ici et maintenant.

Par Prof. Bennasseur Alaoui, Prof. IAV Hassan II et Slim Kabbaj, Ph.D., Entrepreneur

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